samedi 27 août 2011

Eau et cendres III

Le pinson argenté piaillait son mécontentement. Son nid surplombait l'ensemble de la clairière qui se voyait investie par une activité qui lui était étrangère, loin de celle liée à la transition habituelle entre les sons clairs de la population diurne de la forêt, et les sonorités étouffés des organismes nocturnes.
Tournant la tête nerveusement, le pinson cherchait cette source d'inconfort, voire de danger.
Alors qu'il repérait enfin la source de ces nuisances, il diminua l'intensité de ses cris pour signifier à ses congénères qu'il ne s'agissait pas de prédateurs.

En effet, une troupe hétéroclite de quatre personnes pénétrait dans le bois, une colonne attentive, tendue, et dont le premier membre était fermement attaché et bailloné.
Sous la menace d'une dague placée contre son dos, Nora'Mi n'émettait aucun son et restait très docile vis-à-vis de ses ravisseurs.
Un cadran plus tôt, alors qu'elle simulait toujours son état d'inconscience, la jeune femme qui l'avait capturé lui avait signifié en Mhâlatan de ne pas réagir de façon excessive. On l'avait alors informé qu'aucun mal ne lui serait fait, mais qu'un baillon et des entraves devait lui être imposé par sûreté.
Assez prudente de nature, elle avait suivi les instructions données à la lettre. Elle avait profité de la situation pour en apprendre un peu plus sur ces trois personnages, non pas par ce qu'ils auraient pu lui dire, mais bien par ce qu'elle avait pu glaner ici et là.
Bien que leur activité d'espionnage lui ait paru évidente dès les premiers instants, elle avait noté de subtiles différences dans les comportements, lui faisant comprendre que ces individus étaient plus que des partenaires, ils étaient des amis.
L'homme blond paraissait le plus assuré et le plus directif. Il avait très vite décrété qu'il leur fallait quitter les lieux pour se mettre en route vers une destination que la jeune Mhâlatane ignorait, et ainsi mettre un maximum de distance entre eux et la ville dévastée. Ils avaient alors entamé une marche assez longue vers le nord avant de s'arrêter à la tombée du jour dans une clairière non loin de la lisière de la forêt, qui bordait les faubourgs les plus distants d'Ormata.
La pluie s'était intensifié quelques centimes plus tôt, pénétrant bien au delà des vêtements, au delà même de sa peau. En tant que Mhâlatanne de Karaâmad'jah, elle ne connaissait pas cette sensation glaçante, celle qui la frappait actuellement, où ce froid irradiait de l'intérieur de son corps, comme un blizzard émanant de son âme.

dimanche 21 août 2011

Eau et cendres II

Quelque chose s'était brisé au plus profond de Lara. Une douleur sourde qui lui rongeait l'estomac et qui la rendait nauséeuse.
Bien que voyager soit devenu une deuxième nature pour elle, elle avait toujours considéré Ormata comme un endroit sûr, à l'abri des périls habituels qu'elle rencontrait en mission. Ce qui se rapprochait le plus d'une maison.
Et cette cité qu'elle chérissait tant se consumait littéralement devant ses yeux, devenus humides par l'émotion qu'elle n'arrivait plus à contenir. Les murs intacts de la capitale des Pays du Levant, d'un blanc immaculé, tranchaient nettement avec la ville intérieure, noircie par un feu d'une violence sans précédent. Ormata était devenu un véritable dégradé de gris et le Palais Impérial était sans conteste le point le plus noirci de ce sombre tableau. Sans aucun doute possible, l'incendie s'était déclaré au sein même de la citadelle avant de se propager vers l'extérieur de la cité, telle une secousse sismique dont l'épicentre se serait situé sous les pieds de l'Empereur Rolwen lui même.
Le poing serré sur le pommeau de sa dague nouvellement acquise, elle se jura de venger cette cité, ses habitants et surtout, son Empereur. Rolwen était un jeune homme que le destin avait placé de façon prématurée sur le trône lorsque ses parents, l'Impératrice Myrsini et l'Empereur Atalen, avaient trouvé la mort dans un attentat fomenté par des extrémistes des Îles Toha, situées à l'est des Pays du Levant. Bien qu'alliés du Levant avant les faits, les Îles avaient beaucoup de difficultés à gérer des conflits intestinaux qui penchaient dangereusement vers la guerre civile généralisée. Par cet acte, les terroristes avaient réussi à affaiblir le gouvernement des Îles Toha, le Levant ayant en effet pris la décision de rompre ses relations diplomatiques et commerciales avec la nation insulaire jusqu'à nouvel ordre.
C'est dans ce contexte de crise que le jeune Rolwen, alors âgé d'à peine 16 ans, avait été investi des pouvoirs de la nation la plus puissante de tout un continent. Telle une épée tout juste forgée et encore chauffée à blanc, ces évènements avaient été l'eau qui avaient renforcé la lame de ce nouvel Empereur, révélant un caractère de dirigeant naturel, malgré son jeune âge et son peu d'expérience. Depuis quatre ans déjà, il régnait sans faille à l'aide des conseillers qui avaient déjà servi son père avant lui, gouvernant avec rigueur et bienveillance.
C'est pour ce courage et cette détermination dans l'adversité que Lara aimait profondément son Empereur. Bien que de quatre ans son cadet, il montrait une maturité exceptionnelle et cet affront qui lui avait été fait - à savoir de détruire le joyau de sa nation - était une humiliation pour Rolwen que la jeune femme ne laisserait pas impunie.

Malgré sa frustration et son angoisse quant au devenir de son souverain, elle se forçait à suivre la conversation entre ses deux acolytes, n'intervenant que lorsqu'ils s'adressaient à elle directement. Bien qu'elle fût distraite par ce flot d'émotions, elle n'avait pas manqué de remarquer que le corps de la jeune Mhâlatanne qu'elle avait capturé s'était tendu depuis quelques centimes, et elle savait que la femme les écoutait silencieusement. Choisissant alors le dialecte de la province d'où ils était tous trois issus - la province de Carame, au Nord du Levant, elle choisit de mettre fin à son silence pour en faire part à Kamli et Will.

"Je crois que notre captive n'est pas étrangère à la langue du Levant, il serait peut être plus prudent d'employer un dialecte moins accessible, dit-elle en interrompant les deux hommes.

- Oui, tu as raison, j'ai noté aussi quelques mouvements de sa part, je pense qu'elle reprend conscience, admit Kamli, lui aussi dévasté par la vue de la cité en ruines.

- Cette Mhâlatanne était un funeste présage qu'il fallait nous rendre aux Conseil des Arcanes, ajouta Will, dans un rare état de mélancolie. Si Rolwen a eu le temps de s'enfuir, c'est là-bas qu'il aura installé son nouveau quartier général. Il sait que les mages pourront le protéger, ou le cacher, le cas échéant.

- Ne devrions-nous pas enquêter sur ce qu'il s'est produit ici ? Et aider les survivants ? ajouta Lara avec vigueur, ne souhaitant pas laisser sa ville en proie aux flammes.

- Lara, je comprends ta frustration, répondit Kamli calmement. J'aimerais moi aussi voir les coupables de ce crime pendus haut et court. Mais nos informations doivent être transmises au commandement, c'est notre mission. Et si le commandement est au Conseil, alors c'est là que nous irons.

- L'ennui c'est que les portails que nous avons utilisé étaient à usage unique, objecta Will. Et quand bien même nous aurions pu les réutiliser, ils ne faisaient la liaison qu'entre Ormata et Karaâmad'jah. Il va nous falloir marcher.

Tous trois comprirent aisément le lourd sens de cette dernière déclaration. Le Conseil des Mages se trouvait loin au Nord Est d'Ormata, à des dizaines de lieues de là. Et sans aucune préparation, une prisonnière sur les bras, et de nombreuses troupes ennemies probablement disséminées au sein de la région, cette marche serait des plus ardues, voire même impossible.







samedi 13 août 2011

Eau et cendres

La goutte de pluie était issue d'un nuage gris cendre, qui surplombait un paysage désolé d'une ville en ruine. Séparée de son cocon aqueux, elle prenait peu à peu de la vitesse, fusionnant avec ses voisines puis se rescindant. A mesure qu'elle se rapprochait du sol, la chaleur se fit de plus en plus intense. Elle n'était plus qu'une légère goutelette réduite par l'évaporation lorsqu'elle vint percuter la paupière gauche de Nora'Mi, suffisant cependant à la sortir de la torpeur dans laquelle elle se trouvait depuis de longues heures maintenant. Une légère pellicule d'eau la recouvrait et, alors qu'elle se passa la langue sur les lèvres, elle leur trouva un goût amer.
Elle commençait doucement à reprendre conscience de son corps, dont les muscles endoloris la rappelait à l'ordre. Sans même ouvrir les yeux, elle sentit la pression légère de la mousse naturelle sur le rocher. Ou qu'elle soit, quoiqu'il se soit passé, on avait pris le soin de l'installer sur une surface confortable.
Alors que des sons et ses souvenirs lui parvenaient simultanément, elle considéra préférable de conserver les yeux fermés le temps qu'elle puisse juger de sa situation. Son esprit encore embrumé participait au fait qu'elle réussissait à garder son calme. Cependant elle savait que d'ici quelques centimes ses sentiments prendraient largement le dessus, faisant pencher dangereusement la balance en faveur de la panique.
Elle distingua trois voix, dont l'une d'elle était élégante et féminine. Nora'Mi parlait avec un certain succès la langue du Levant -employée par ses ravisseurs, au contraire de nombreux de ses concitoyens, et malgré quelques difficultés, elle comprenait globalement l'objet de leur discussion.
La conversation semblait excessivement grave et portait sur la destruction d'un village - ou d'une cité, elle ne comprenait pas exactement- par un incendie d'une ampleur sans précédent.
Alors que l'odeur âcre d'un feu lui effleura les narines, elle comprit. Pendant sa torpeur, elle avait cru que la chaleur moite qui l'enveloppait était issue du climat lourd de Karaâmad'jah qui était la conséquence des rares évènements pluvieux qui balayaient la ville Mhâlatanne. Mais alors que son corps revenait à un véritable état d'éveil, elle fit une analyse plus fine de son environnement. La chaleur en question lui venait par vague, que la pluie fine venait refroidir périodiquement. La cité en feu qui était l'objet de la discussion des trois protagonistes devait se situer à quelques centaines de pas seulement de Nora'Mi. Elle n'était plus en territoire Mhâlatan.
Et pour la première fois depuis le jour de sa naissance, elle maudit silencieusement les Dieux d'avoir répondu à ses désirs d'aventure.