samedi 5 décembre 2009

5) L'infiltration porte ses premiers fruits

La brume que William entrevoyait n'avait rien de naturel, mais la surprise qu'il avait ressenti lors de son premier essai de connexion spirituelle était loin, très loin derrière lui dorénavant. Elle avait disparue avec l'expérience qu'il avait acquis durant ses longues années de pratique de ce qu'il considérait comme un Art. Ce brouillard, plus ou moins dense selon les individus, était le reflet de ce qu'on appelait l'Esprit, qui n'était autre que l'interface concrète d'une idée abstraite pour beaucoup d'autres humains. L'ensemble des pensées se voyait retenue au sein de cet ensemble vaporeux, mouvant, qui pouvait prendre des formes diverses, qui révélait déjà au premier abord une partie de la personnalité de la cible : cela pouvait être un objet, un animal, ou même une représentation de la cible elle-même. L'homme espionné par William à ce moment était brasier ardent, révélant souvent un caractère impulsif, voire violent, mais également passionné. La Signologie, science qui associait ces images aux caractères des individus, était une sous-branche de l'Arcane Psychique à laquelle le jeune homme accordait très peu d'intérêt, autant que l'interprétation des rêves par exemple. Même s'il restait pour la plupart des populations un "Sorcier" (ou "Magicien" en termes plus élogieux), il n'en était pas moins extrêmement pragmatique quant à son Art. Il résultait de techniques basées sur l'expérience de nombreux autres magiciens ayant perfectionné celles-ci, bien avant lui.

Il s'appliqua donc à balayer l'excitation du premier contact d'un revers mental, et se concentra, afin ne pas perturber les activités cérébrales de l'homme observé. Il pénétra au sein de la brume, puis discerna peu à peu des formes, des idées, des concepts. La quasi-totalité des fonctions conscientes de l'Homme étaient concentrée sur son emploi, qui n'était autre que la protection direct du Roi. C'était en effet un garde royal, comme William l'avait appris un peu plus tôt en côtoyant secrètement l'homme dans nombreux de ses déplacements. Il était donc très souvent au contact du souverain Altrâkhan, et était donc l'homme idéal à espionner avec les facultés de William. En effet, ce genre d'individus étaient entraîné à résister à tout interrogatoire musclé, préférant mourir plutôt que de trahir la nation. Et cette ferveur en Mhâlata était à peu près aussi intense que la révulsion des Mhâlatans pour la magie. Ces gardes, aussi surentraînés physiquement soient-ils, ne disposaient d'aucun barrage mental qui aurait pu aisément donner du fil à retordre au jeune homme brun. Au lieu de cela, il s'avéra que l'espionnage se résuma davantage à la lecture d'un livre ouvert qu'à une réelle prouesse magique.

Fort de cette première réussite, William en oublia presque les consignes de sûreté qui étaient valables dans ce genre d'opération. Il traversa mentalement la Zone des Sentiments de l'Esprit de l'homme sans vraiment s'en apercevoir. Ce dernier, accoudé à un comptoir dans une des plus belles tavernes de la ville, tressaillit un instant, puis revint à sa position d'origine, en riant avec le tavernier de l'effet que lui procurait la bière.

Le jeune mentaliste prit ses précautions puis inspecta la mémoire de l'homme, cherchant certaines informations qui auraient pu expliquer le comportement erratique du Souverain. Il n'eut pas à chercher bien longtemps, car une image fixe revenait périodiquement dans les souvenirs du garde royal. L'image sombre d'un seul homme, un conseiller du Roi, nouvellement arrivé au siège du conseil, qui était associé à un sentiment très fort de rejet et de dégoût. Le garde ne respectait pas cet homme, il le craignait. Pour autant, William n'arrivait à trouver l'origine de cette peur sourde et primale, inhabituelle pour un homme aguerri.

Il n'arrivait pas bien à identifier non plus les traits de l'individu, mais pour autant il avait l'intime conviction de connaître cet homme, entièrement drapé de noir, y compris sa tête, qui se voyait vêtue d'un turban ne laissant dévoiler que ses yeux. Des yeux d'un noir profond, comme arrachés à la nuit elle-même, qui semblaient pouvoir percer n'importe quelle surface d'un seul regard. Gagné par la peur de l'individu, William s'arracha à l'Esprit du garde, presque malgré lui, comme si l'homme en noir avait réussi à l'en dégager.
Le garde ressentit la disparition de la présence dans son esprit, comme un bandage qu'on aurait retiré trop violemment d'une plaie, et prit la peine d'inspecter toute la pièce d'un regard d'aigle, couvrant la totalité de la pièce et analysant chaque détail à une vitesse que l'expérience avait rendu fulgurante.

William prit soin de continuer à manger son repas, sans rien dévoiler de l'activité silencieuse qui venait de se dérouler entre les deux hommes. Après quelques minutes, le garde s'accouda de nouveau au comptoir en bois massif et repris sa discussion, une tension perceptible dans la voix.
William avait enfin son premier indice. Malgré la courte durée de son intrusion dans l'esprit du garde, il avait réussi à connaître la date de l'arrivée de l'homme en noir au siège du Conseil. Elle coïncidait presque parfaitement avec les premiers mouvements de troupes observés par l'Empereur. Cela ne pouvait être un hasard, et, aussi dangereux que cela puisse être, le jeune mentaliste savait que sa prochaine mission serait d'enquêter sur ce nouveau conseiller, qui avait réussi à le terrifier, même à travers les simples souvenirs d'un homme.