mardi 2 février 2010

6) Retrouvailles

Kamli tapait nerveusement du pied sur le sol sec de la forêt. Le bruissement des quelques feuilles au sol, écrasées par sa botte, l'apaisait. D'un naturel patient, ses deux amis avaient pourtant réussi à user cette qualité de façon significative à cause de leurs retards chroniques, devenus quasi-systématiques. Ils s'étaient donnés rendez-vous dans la clairière où ils étaient apparus lors de leur premier nuit en territoires ennemis, à la tombée de la nuit du quatrième jour.
Cependant, l'astre solaire avait plongé sous l'horizon depuis quelques centimes déjà et aucun des deux espions ne s'était dévoilé au lieu convenu (un petit arbre au tronc sinueux, un peu en dehors de la clairière). Le jeune homme blond commençait à entrevoir le pire, comme à chaque fois. Peut-être avaient-ils été peu prudents durant leurs explorations ? Peut-être avaient-ils négligé de surveiller leurs déplacements ?
Kamli répétait souvent à ses deux acolytes que les gestes les plus insignifiants pouvaient leur sauver la vie, bien qu'ils n'écoutaient que très peu ses conseils moralisateurs. Et encore une fois, il se trouvait seul à patienter, tendu, et à l'écoute de tous les bruits provenant des zones qu'il ne pouvait voir. Tous les craquements accélérait son rythme cardiaque, bien que d'extérieur il ne laissait rien trahir de cette tension qui aurait été insoutenable pour n'importe quel individu du commun. Avec ironie, Kamli pensait régulièrement que la vie qu'il tentait de préserver avec tant d'acharnement finirait sûrement par lui être arrachée par un ulcère aggravé.

Soudain, un son sourd, beaucoup moins naturel, parvint à l'oreille du jeune espion. Il tenta d'analyser sa provenance et détermina qu'il venait de derrière un tronc, à quelques pas de là. Tous les sens en alerte, il se déplaça furtivement derrière un arbre suffisamment large pour le dissimuler de la source du bruit. Il banda son arc et visa la zone suspectée jusqu'à ce qu'il puisse déterminer s'il devait laisser partir son trait ou non. L'individu caché derrière le tronc n'avait probablement pas remarqué qu'il avait révélé sa position car il risqua un coup d'oeil pour retrouver un contact visuel avec sa proie. Kamli vit qu'il ne s'agissait ni de Lara, ni de William et prit donc la décision de contourner discrètement la zone où se trouvait l'homme qui le suivait. Ce dernier semblait paniqué maintenant qu'il avait perdu sa cible, et il agitait la tête dans tous les sens afin de la retrouver. Kamli prit bien garde de ne pas se faire repérer, puis, dès qu'il eut un angle assez dégagé, il tira une flèche dans la jambe de l'individu, qui, affolé, tenta de s'enfuir. Il tituba sur plusieurs pas, puis trébucha sur une racine aérienne et s'écrasa lourdement contre un rocher. Kamli perçut avec dégoût le bruit des os, craquant contre la masse granitique.

L'archer s'approcha prudemment de l'individu, qui ne bougeait plus que par soubresauts, son corps tout entier devenu incontrolable. Il craignait que l'homme allongé face contre terre ne se retourne armé d'un poignard ou autre arme blanche qui aurait aisément pu être dissimulé dans sa veste.
Il poussa donc l'espion du pied afin de le retourner, et découvrit un spectacle sombrement écarlate. D'un visage ensanglanté, fracturé de part en part, on avait peine à distinguer le nez, qui avait été écrasé au contact de la roche et prenait maintenant un angle avec le reste du visage qui n'avait rien de naturel. Le front laissait discerner une longue entaille horizontale où la peau avait été partiellement arrachée, découvrant l'os blanchâtre du crâne sous-jacent. La bouche de l'individu n'était plus qu'une masse rougeâtre informe, dont les contours labiaux étaient imprégnés du sang qui se déversait de façon ininterrompue depuis sa langue, qui dépassait ridiculement, comme si elle était devenue trop volumineuse pour être contenue dans sa cavité buccale.

Kamli adossa l'individu contre la formation rocheuse qui avait causé ces dégâts afin que l'homme ne s'étouffe pas avec son propre sang, ce qui semblait déjà sur le point de se produire à en entendre les gargouillis provenant de sa gorge.

"Qui es-tu ? Qui t'envoie ?" demanda avec vigueur le jeune homme blond en Mhâlatan.

L'homme en face de lui grimaça avec douleur en tentant d'articuler une phrase qui mourut aussi tôt dans sa gorge. A en croire l'expression hargneuse imprimée sur son visage et malgré toutes les contusions, Kamli en déduisit que ce que l'espion avait essayé de formuler ne devait être qu'une insulte à son égard.
Ce dernier, ayant repris un peu plus conscience fouillait maintenant frénétiquement la poche de sa veste, cherchant un objet qui ne s'y trouvait manifestement plus.

"C'est ça que tu cherches ?" ajouta Kamli en agitant devant ses yeux une petite fiole contenant un liquide violet, qu'il avait pris la peine de ramasser par terre quelque secondes plus tôt.
"Il est hors de question que tu périsses. J'ai un ami qui va pouvoir te faire parler, que tu le souhaites ou non."

A peine avait-il eu le temps de finir sa phrase que l'espion du Levant entendit un bruit de course venant de derrière lui. Craignant l'arrivée de renfort, il prit une flèche de son carquois, banda son arc et se retourna avec une rapidité et une précision fulgurante pour un humain. Cependant, lorsqu'il fit face au nouvel arrivant, il reconnut un visage familier : des cheveux bruns en bataille et un sourire qui semblait ne jamais pouvoir s'ôter.

"On parle de moi ?" lança William avec une insolente décontraction.

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